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L'horloge à longitudes

Par Dominique Mouret, pendulier-restaurateur, et Ariane Maradan, chercheuse indépendante

En 1770, dix ans seulement après avoir achevé son premier instrument horaire de navigation, Ferdinand Berthoud reçoit le « Brevet d’Horloger Méchanicien du Roi & de la Marine, ayant l’inspection de la construction des Horloges Marines ». Cette distinction, suivie d’une importante commande de Sa Majesté Louis XV, va confirmer sa vocation et lui permettre de s’y consacrer pleinement.

 

Connaître sa position Est-Ouest en pleine mer

 

La détermination des longitudes en mer figure parmi les débats les plus passionnants ayant animé le XVIIIe siècle. Face aux méthodes de navigation parfois empiriques qui entraînaient des pertes considérables en matière de vaisseaux, de précieuses vies humaines et de riches cargaisons, il devenait impératif de « lever » des cartes maritimes précises. Les gouvernements des nations européennes les plus puissantes, telles la France et la Grande Bretagne, investirent dans des expéditions d’exploration à travers les océans. L’élite des astronomes, cartographes, hydrographes, naturalistes et autres scientifiques embarquait à bord de navires équipés d’instruments de mesure à la pointe du progrès.

 

« Le Problème des longitudes en mer se réduit à ceci : Déterminer, à un même instant, l’heure du vaisseau et l’heure du méridien de départ, ou de tout autre méridien convenu. La différence des heures réduites en partie de l’équateur (à raison de quinze degrés pour une heure, et d’un degré pour quatre minutes de temps, &c.) donne la longitude du navire rapportée au méridien qu’on a choisi pour terme de comparaison. »[1] Les horloges à longitudes allaient permettre ce calcul quelles que soient les conditions météorologiques, les astres ayant été jusqu’alors l’unique référence au large.

 

Rechercher, concevoir, réaliser, perfectionner et partager

 

Etudiant minutieusement les travaux de ses prédécesseurs et de ses contemporains, Ferdinand Berthoud relève le défi de construire une première horloge marine[2], qu’il finalise en 1760 et dont il publiera trois ans plus tard la description complète dans son Essai sur l’horlogerie.[3] Dès lors et sa vie durant, il n’aura de cesse de perfectionner cet instrument afin d’en affiner la précision et d’en renforcer la fiabilité. Réduisant progressivement son volume et sa masse, l’horloger alterne les mécanismes à ressort équipés d’une fusée et ceux mus par un poids, et expérimente le moyen d’annuler les conséquences des différences de température. Au fil de ses ouvrages, Berthoud présente l’évolution de son œuvre dans les moindres détails, sous les appellations d’horloge marine, de montre marine, d’horloge à longitudes ou encore de montre à longitudes.

 


« N.° XXX Horl : a Longit par Ferdinand Berthoud »

(gravé sur la platine portant les cadrans)


 

Conservée au sein des collections du L.U.CEUM, l’horloge à longitudes N° XXX est l’unique exemplaire, d’une série de cinq réalisée entre 1778 et 1782[4], qui nous soit parvenu intact, accompagné de son coffret originel en noyer. Parmi ces garde-temps, deux furent perdus en mer en 1788 lors de l’expédition scientifique dirigée par Jean-François de Galaup, comte de La Pérouse.

A l’instar de la Montre Marine N° 6, 1777 (L.U.CEUM), au mécanisme équipé d’un gril compensateur, l’horloge à longitudes N° XXX, de dimensions réduites et dotée d’un bilame en acier et en laiton, témoigne de la quête perpétuelle de Ferdinand Berthoud dans le domaine de la précision.



Liste des illustrations



1)     Ferdinand Berthoud, horloge à longitudes N° XXX, vers 1780, vue d'ensemble (Collection L.U.CEUM, Fleurier). Dimensions du coffret : Hauteur 22,7 cm, Largeur 25,7 x 25,7 cm. 

2)   Ferdinand Berthoud, horloge à longitudes N° XXX, vers 1780, vue de la petite platine surmontée du bilame.

3)     Ferdinand Berthoud, horloge à longitudes N° XXX, vers 1780, vue du mécanisme, élévation côté fusée, et de son bilame (de forme triangulaire). 

4)   Ferdinand Berthoud, horloge à longitudes N° XXX, vers 1780, vue de l’horloge et du cardan hors de leur coffret. 

5)     La montre à longitudes N° XLVII reproduite sur cette planche (extraite de l’ouvrage de Ferdinand Berthoud, Traité des Montres à Longitudes, Ph.-D. Pierres, Paris, 1792, planche II) représente l’une des évolutions de l’horloge à longitudes N° XXX.

 


[1] Histoire de la mesure du temps par les horloges, Paris, Imprimerie de la République, An X (1802), tome second, chapitre VIII, pages 323 et 324.


[2] Conservée au Musée des arts et métiers, Cnam, Inv. 01386-0000-.                         


[3] Essai sur l’horlogerie ; dans lequel on traite de cet Art relativement à l’usage civil, à l’Astronomie et à la Navigation, En établissant des Principes confirmés par l’expérience, A Paris, Chez J. Cl. Jombert, Musier et Ch. J. Panckoucke, 1763, tome second, chapitre XLII, « Description de l’Horloge Marine que j’ai composée, pour servir à la Navigation, & à déterminer la Longitude en Mer. », pp. 258-272, planches XXX-XXXIII.


[4] In Ferdinand Berthoud, 1727-1807 : Horloger Mécanicien du Roi et de la Marine, sous la direction de Catherine Cardinal, Musée international d’horlogerie, La Chaux-de-Fonds, 1984, page 209.