Retour

L'Art Horloger

Rossella Baldi

Communiquer avec le public


La passion pour les sciences du 18e siècle s’accompagne d’une forte demande de connaissance technique émanant de non-spécialistes, demande à laquelle les horlogers des Lumières ne restent pas insensibles. Ferdinand Berthoud en particulier comprend dès sa jeunesse l’importance de rendre accessibles au plus grand nombre les principes du savoir-faire horloger. Ainsi, il publie dans le Journal helvétique de mai 1753 une «Lettre sur l’horlogerie» qu’il dédie à son compatriote, le pendulier chaux-de-fonnier Pierre-Jaquet Droz, de passage à Paris la même année. Le choix du Journal helvétique souligne l’intention de Berthoud d’atteindre un large public: imprimée à Neuchâtel, la gazette constitue le plus important périodique suisse romand de l’époque. Il rappelle aussi les origines de Berthoud, alors même que dans son texte il se présente plutôt comme un horloger bien intégré au milieu parisien du métier: l’article commente en effet l’état de l’horlogerie française et tisse l’éloge de quelques figures d’horlogers telles que Henry Sully, Julien Le Roy ou Pierre de Rivaz ayant contribué à sa renommée. Et que Berthoud appartienne désormais à l’élite horlogère parisienne ne fait aucun doute: au mois de décembre 1753, il accède à la maîtrise.


Les talents de vulgarisateur du maître horloger


Si la Lettre sur l’horlogerie offre un premier aperçu du goût pour les exposés didactiques de Berthoud, ce n’est qu’avec L’Art de conduire et de régler les pendules et les montres(1759) que le maître horloger prend véritablement le chemin de la vulgarisation. Il destine son ouvrage à «ceux qui n’ont aucune connaissance d’Horlogerie» et fait sien le projet de la science mondaine de son temps, soit éduquer en divertissant: «je n’ai pas voulu entrer dans de trop grands détails […] crainte de devenir trop long et trop abstrait, & de rebuter ceux qui voudront s’amuser». Il en découle un ouvrage de petit format in-12, qui expose par un langage simple et en quinze brefs articles le réglage de montres et pendules. Le dessein de produire un livre à la fois compréhensible et agréable est confi rmé par les quatre planches raffi nées qui complètent les explications. Dessinées et gravées par Pierre-Philippe Choffard, ornemaniste réputé, elles appliquent aux composantes de la montre une esthétique rocaille; les coqs décorés comme un parterre de jardin à la française expriment la quête de plaisir des yeux qui caractérise la vulgarisation scientifi que de l’époque. D’ailleurs, leur beauté n’échappe pas aux commentateurs de l’époque, qui louent la clarté de l’exposé et la facture soignée du livre. Une deuxième édition paraît en 1761.


L’Essai sur l’horlogerie, un ouvrage pour artistes et amateurs


La préface de L’Art de conduire et de régler les pendules et les montres annonce la mise en chantier du projet de l’Essai sur l’horlogerie, qui aboutira quatre ans plus tard. La gravure des planches de son deuxième écrit est de nouveau confi ée à Choffard, cependant les dessins sont réalisés par Louis- Jacques Goussier. Mathématicien, Goussier est spécialisé dans le dessin technique: une grande quantité d’illustrations de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert portent sa signature. Son concours résulte certainement de la collaboration de Ferdinand Berthoud à l’Encyclopédie, pour laquelle le maître horloger rédige entre la toute fi n de la décennie 1750 et le début de la suivante sept articles dont celui «Horlogerie»: ce texte célèbre ouvre l’Essai sur l’horlogerie avec le titre de «Discours préliminaire».

Les images de l’Essai reflètent un plus haut degré de précision que celles de L’Art de conduire et de régler les pendules et les montres. Leur trait plus net représente les vues didactiques du maître, qui choisit cette fois de s’adresser à un double lectorat, soit les «Artistes» et les «Amateurs»: les gens du métier d’une part et, d’autre part, les connaisseurs capables d’observer et de juger avec pertinence des objets mécaniques. Ferdinand Berthoud définit ces derniers comme des «Amateurs de l’Art» ou des «Amateurs de la Méchanique»; il se réfère de toute évidence aux membres de la bonne société férus d’horlogerie et constituant, au passage, une clientèle potentielle.


Contrer le secret de l’atelier


Le projet de l’Essai sur l’horlogerie va plus loin que celui de L’Art de conduire et de régler les pendules et les montres. Il tire sa force de l’idée de partage des connaissances que le maître réaffirme à plusieurs reprises. Ce partage, qui s’oppose aux lois du secret de l’atelier, doit se faire selon lui selon des propos compréhensibles: le mot du titre «essai», distinguant le livre d’un traité, souligne cette volonté. Les chapitres qui composent les deux tomes de l’Essai sur l’horlogerie correspondent à autant de leçons que Ferdinand Berthoud aurait pu tenir devant un auditoire. Elles combinent savamment théorie et pratique, exemples concrets tirés de l’expérience et principes d’exécution, afin de permettre à tout un chacun de comprendre et d’apprécier pleinement l’art horloger.

La vocation pédagogique constituera à travers le temps une des spécificités de l’atelier Berthoud. De cet héritage se souviendra par ailleurs son neveu Louis Berthoud, qui publie en 1812 des Entretiens sur l’horlogerie à l’usage de la marine, réunissant les leçons d’horlogerie qu’il avait lui-même données à plusieurs élèves.